vendredi 29 novembre 2013

Souvenir


- Tiens, je t’aide à ranger ton bureau ! Tout ça, corbeille !
- Merci ! Attends… non ! ça je le garde.
- Quoi ? Ça ? Mais… qu’est-ce que c’est ?
- Une fleur. Donne.
- Ça ? Une fleur ? Tu plaisantes ? C’était peut-être une fleur il y a dix ans mais là…
-  Oui, ben, j’y tiens.
- Vraiment ? il se penche, plisse les yeux : c’est rare ? Comment ça s’appelle ?
- Je ne sais pas. Je ne sais plus. Donne !
- Mais enfin ! Pourquoi veux-tu garder une vieille fleur fanée qui ne ressemble plus à rien depuis longtemps et dont tu ne connais même pas le nom ?

Pourquoi est-ce que je tiens à conserver, sur mon bureau, une minuscule fleur desséchée dont j’ai oublié le nom ? 

Parce que chaque fois que je pose les yeux sur sa couleur éteinte, je vois la mer. Les vaguelettes qui clapotent sous le canoë. Les rayons du soleil qui se fraient un passage à travers l’épais feuillage de la mangrove. Je souris à mon fils qui nous prend en photo.

Parce qu’il suffit que je pose ce minuscule déchet végétal au creux de ma main pour qu’il libère, si longtemps après, trois grains de sable. Immanquable : trois grains de sable, et me voilà en maillot de bain, transpirant sous mon gilet de sauvetage, riant des éclaboussures fraîches sur ma peau brulée.

Parce que dès que j’aperçois un bout de cette fleur qui dépasse de sous un papier, je sens la houle me bercer, j’ai sur les lèvres la saveur incomparable du rhum local, je découvre du coin de l’œil un petit crabe qui s’enfuit, le grattement pressé de ses petites pattes sur un tronc de palétuvier… wait… j’ai retrouvé ! C’est une fleur de palétuvier ! C’est joli, hein ? Non, je ne sais pas si c’est rare. Mais si tu n’en as jamais vu, ça doit bien l’être un peu ?

C’est drôle, la mémoire, un peu magique. La mienne, il suffit de la mettre en contact avec un vieux bout de fleur sèche et trois grains de sable pour qu’elle me transporte à 6000 km, ajoute 30° au thermomètre, m’envahisse du puissant parfum de la pêche du jour et m’assourdisse du cri des singes.

Ça doit être pour ça, que je prends si peu de photos : il y a trop de déperdition, la photo oublie les sons et les odeurs. Pas les souvenirs.
-  Laisse, ranger la mangrove est trop ambitieux. On va garder mon bureau comme ça, je peux y retrouver l’essentiel.

dimanche 24 novembre 2013

Ruban rouge



Le mariage des nuages bas et du couchant étire un ruban sanglant sur l’horizon, tout au bout de la route. La pluie a cessé mais l’asphalte mouillée éclabousse le pare-brise et réfléchit la lumière des phares. L’habitacle est tiède et confortable, la musique est tellement saturée que le son devient tangible.

Je rêve qu’au lieu de tourner à l’angle de ma rue pour rentrer chez moi, je continue tout droit, pour toucher l’horizon avant qu’il s’éteigne. Je me projette, comme on dit, vers l’avant, vers plus loin… Qu’y a-t-il au bout de cette route ? La Bretagne ? La Vendée ? Je l’ignore. L’océan, c’est certain. Je sens le parfum puissant des algues à marée basse, j’entends la respiration de la mer. Je perçois, sous ma paume, non plus le revêtement usé du volant, mais la pierre froide, humide, inaltérable des constructions malouines. Autre chose que le tendre tuffeau du Val de Loire.

J’ai simplement envie, besoin, de changer d’air, pour un soir, une nuit, une tranche de vie. Je voudrais fuir la réalité avant qu’elle me rattrape, abandonner les obligations que j’ai laborieusement accumulées, élevées comme des murailles bretonnes, pour faire obstacle à la tentation.
Ce soir, ma mélancolie prend la couleur de ce ruban d’horizon, le tempo de Lars Ulrich, sans doute plus de colère que de tristesse. Je n’ai pas envie de savoir pourquoi, je veux juste aller caresser le sable mouillé, respirer la brume salée, ne plus entendre que le cri des mouettes.

Au moment où j’aperçois les Havres Gris au bout de ma route, j’atteins mon croisement, je tourne à gauche, je suis rentrée.

mardi 19 novembre 2013

Pourquoi j'écris



Pour commencer, je balance, c’est Cédric qui m’a donné l’idée. (On trouve son blog ici, vous verrez, c’est un vrai écrivain, publié et tout.)

Depuis que j’ai découvert son blog, chaque fois que je lis un billet je hoche la tête, j’approuve, j’acquiesce, bref, j’ai (presque) toujours l’impression de ressentir exactement la même chose que lui, sauf qui lui, bah, il l’écrit très bien.

Et puis bon, lautre matin, j’ai lu deux billets où il expliquait pourquoi il écrit, ce que l’écriture représente pour lui, etc. Et là, je n’avais plus l’impression qu’il était dans ma tête, à prendre mes idées pour les décrire avec talent. (Allez voir, c’est super bien raconté.)

Et ça m’a fait réfléchir, de manière un peu approfondie, à mes propres raisons d’écrire. D’où le titre ébouriffant d’originalité de ce billet.


Écrire, pour moi, c’est aussi naturel que penser, parfois plus. C’est-à-dire que j’écris tout le temps. Dans ma tête. Je me raconte des histoires, si on veut, mais des histoires qui ont une queue et une tête, et que je transcris sur papier ou disque dur lorsqu’elles sont mûres. J’ai toujours plusieurs textes en cours (comme pour les livres que je lis, je ne fais pas exprès) : roman, nouvelles, billets de blog… 


Écrire, c’est ma récréation, mon évasion, mon espace de liberté. J’écris pendant que j’attends le Petit à la sortie du collège, quand je fais la queue au tabac ou à la boulangerie, quand je conduis, quand un fâcheux me tient la jambe en me racontant sa vie dont je me fiche éperdument, sous la douche, en préparant la cuisine, pendant les pubs au cinéma… j’arrête, vous avez saisi le principe je pense.


C’est aussi une sorte de planche de survie. Au soir de certaines journées où la vie s’est montrée bien garce, je peux m’endormir en inventant une histoire pour des personnages qui verront le jour dans une prochaine nouvelle. Et les matins où le réveil sonne à 5 h, avoir ce projet dans la tête me pousse hors du lit, dans l’espoir d’avoir le temps, avant de partir au bureau, d’écrire une page ou deux. Je ne dirais pas que c’est ma raison d’être, non, mais l’écriture est pour moi une motivation puissante, aussi précieuse et vitale que mes pensées. Écrire fait partie de moi.

J’ai la chance (une chance qui n’a rien à voir avec le hasard, hein, j’ai quand même fait exprès) de faire un métier où j’écris 90 % du temps. Donc pour le travail, j’écris en respectant des consignes, des guides de style, des contraintes avec lesquelles je suis plus ou moins d’accord mais le client est roi. Alors quand j’écris pour moi, c’est Noël, j’abolis le point-virgule, je fusille les « ne » explétifs, je fais des phrases de 5 lignes, je saupoudre des virgules où je veux, je me fais plaisir.


Est-ce que j’ai envie d’être publiée ? Ben oui ! J’en rêve, j’en meurs d’envie. Mais, je crois, pas au point de cadrer mon écriture dans un guide contraignant. Si ce que j’aime écrire n’est jamais jugé « publiable » par les éditeurs qui doivent tenir compte d’un marché, tant pis. Je ne dis pas que je ne serais pas déçue, mais vraiment, tant pis. Je continuerai d’écrire ce qui me plaît, des billets de blog que mes copains lisent et je pense que ça me suffira.

vendredi 15 novembre 2013

Anatomie parisienne


Ai-je déjà mentionné que j'aimais Paris ? Peut-être ici, oui.

Cette semaine, j'ai pris mes quartiers pour plusieurs jours sur les bords de la capitale. Il serait exagéré de dire que tout m'émerveille. Mais tout, absolument tout, m'attire, me surprend, me bouleverse (je suis une grande sensible) ou m'envoûte.

Les milliers de marches d'escaliers à monter, descendre, remonter, redescendre (et je suis nulle en orientation) à côté d'escalators en panne ou simplement arrêtés, histoire de se conformer au PNNS (manger-bouger-bla-bla-bla). Pour bouger, je bouge. Une partie du temps chargée de mon sac de voyage (penser à acheter une valise à roulette, urgence !) qui pèse une blinde (la blinde étant, comme chacun sait, une division de l'âne mort). Le deuxième soir, chacun de mes muscles hurle à la maltraitance ! Lors de mes précédentes visites, je posais un regard sardonique (j'avoue) sur les femmes portant des baskets quelle que soit leur tenue. Aujourd'hui, chaque pas sur mes élégants talons me plonge dans un rêve fou où, telle l'actrice d'une publicité de parfum, je me libérerais de mes chaussures pour avancer pieds nus, d'un pas sûr et néanmoins dansant... Mais bon, je ne suis pas sur les Champs-Élysées, la saison ne s'y prête guère et je ne vois pas de caméras. Cela dit, je vendrais mon royaume pour une paire de baskets, même rose fluo.

Je me suis – encore – égarée. Je voulais raconter que j'ai marché, marché, marché, des kilomètres. Et fait des détours innombrables, accidentels ou volontaires, pour prendre des photos, regarder couler l'eau brune de la Seine, à laquelle le soleil accrochait des millions de diamants.
J'ai contemplé, ébahie, les tours de la Défense, aussi écrasées un jour par le ciel bleu qu'elles étaient étirées, la veille, par la brume qui rongeait leurs derniers étages.
J'ai savouré l'odeur chaude des embouteillages, le parfum enivrant du métro.
Le métro... mon chez-moi parisien. Même quand il est tellement bondé qu'on ne peut prendre qu'une respiration sur deux. Je me suis amusée d'une femme qui avait réussi à replier un bras pour presser son écharpe sur son nez et sa bouche. Je me demande qui elle protégeait ainsi, de quelle odeur. Et lorsque des gens descendaient sur le quai, je me suis retenue de dire au-revoir à ceux entre les bras de qui j'avais voyagé. J'ai découvert, de tous mes sens, que dans la foule, l'indifférence, l'ignorance de l'autre, est le seul moyen de supporter trois, quatre, voire cinq personnes incrustées dans notre espace vital.
J'ai vu aussi une très jeune femme rester assise, j'en avait honte pour elle, alors qu'un monsieur à l'autre bout de la vie peinait à se tenir debout à côté d'elle. Et même quand la rame s'est un peu remplie, elle s'est levée en restant collée au strapontin, sans paraître avoir l'idée de l'offrir au vieillard, puisqu'elle le dédaignait... Les gens sont bizarres, parfois.

J'ai adoré ces journées de sport intensif, suivies de soirées enivrantes au sens propre. J'explique : dans les restaurants du fond de ma campagne, lorsqu'on commande une bouteille de vin qu'on n'est pas sûr de terminer, on se voit tout naturellement proposer de l'emporter. Mais quand j'ai demandé à la serveuse d'un établissement si c'était possible, elle m'a regardé avec de grands yeux, j'ai cru avoir encore de la paille sous mes sabots, puis, après avoir fait remonter ma demande incongrue à sa hiérarchie, m'a répondu que c'était interdit. Nous n'allions tout de même pas leur laisser cet excellent Gaillac, tout le monde est d'accord ? L'avantage, c'est qu'après, je n'avais plus du tout peur de rentrer à Courbevoie par les transports en commun. Tous comptes faits (je n'adore pas cette expression, mais là, je la trouve appropriée), merci Mademoiselle de m'avoir fait économiser le taxi !

Si je devais résumer ce séjour à un seul mot, je crois que ce serait « régal ». Paris glacée, mouillée, illuminée, fumante, Paris affolante et étonnante, à chaque fois que je viens, j'ai dans la tête ces quelques mots d'une chanson de mon adolescence : « Paris, ville de mes rêves... » Voilà, je viens de passer quatre jours au pays de mes rêves. C'était trop bien !

Et même ma voiture doit aimer Paris, puisqu'elle refuse de démarrer pour rentrer chez nous...