mardi 29 avril 2014

Le parfum des jours heureux



L’odeur grasse de l’herbe détrempée par la nuit, l’air saturé de brume.

Le miel acidulé des fleurs d’acacia qui réveille un souvenir de friture et de rires d’enfants.

Le parfum puissant et têtu de la résine, un grand cèdre abattu.

L’âcre effluve d’humus et de champignons.

Le goût de roui de l’eau d’étang que l’on s’efforce en vain de ne pas trop avaler.

L’écho lointain de la cloche du déjeuner que l’on pouvait feindre de ne pas avoir entendue.

L’haleine piquante des fourmilières géantes au sommet desquelles on pouvait déposer des cadavres de rongeurs pour récupérer, quelques jours plus tard, des squelettes parfaitement nettoyés.

La poussière desséchée des chemins de calcaire.

La chaleur abrutissante d’un mois d’août révolu.

Le ronflement inquiétant d’un essaim d’abeilles en quête d’un abri pour la nuit, ou d’un nouveau départ.

L’effrayante déflagration de la débâcle à la fin de l’hiver.

Le brame en septembre, les bois qui s’entrechoquent et résonnent longuement à travers la forêt.

Les sens aux aguets, par habitude, la crainte permanente de l’incendie.

Le bois trop jeune, qui peine à s’enflammer dans la cheminée et dont les larmes grésillent sur les braises.

Le chêne bien sec qui réchauffe longtemps, durcit les chaussures de cuir et les gants incrustés de terre sableuse.

Les branches de bouleau, leur lumière aussi joyeuse qu’éphémère autour du foyer.

Les feuilles de bouleau à l’automne, qui mystifient cent fois les chercheurs de girolles.

Un papillon mauve. Un papillon jaune. Un papillon brun. Les papillons sont les âmes des morts qui reviennent partager un instant avec leurs anciens compagnons.