samedi 31 janvier 2015

Confession




Il y a deux trucs que je déteste absolument et qui sont absolument indispensables : faire le plein d’essence et aller à la poste. C’est comme ça, je suis obligée d’y passer régulièrement, mais ça me donne tellement l’impression de perdre mon temps que ça me met systématiquement de mauvaise humeur. J’y vais à reculons, contrainte et forcée. En regrettant de ne pas pouvoir faire un énorme plein une fois par an, ou poster tous mes paquets de l’année le même jour. Je prendrais une journée de congé, je ne ferais que ça, mais après, tranquille pendant 364 jours, 365 les années bissextiles. Le rêve. Bon, ça ne marche pas comme ça, le concept a dû être mal pensé au départ, je n’ai qu’à m’en accommoder. 

Chaque fois que je vais à la poste, je pense au slam de Grand Corps Malade. J’arrive avec un capital agacement déjà costaud mais il ne s’amenuise jamais pendant ma visite. Je repense à la fois où j’ai fait la queue au moins 5000 ans pour m’entendre expliquer que pour acheter des timbres tout simples, il fallait aller à la machine. Ou plutôt AUX machines. Une machine qui imprime et délivre des timbres rouges et une autre pour les timbres verts. Et les machines n’acceptent que les pièces. Heureusement, il y a un distributeur de billets à l’extérieur. Et heureusement, il y a une machine à faire de la monnaie sur les billets. J’en ai encore des aigreurs d’estomac.

Et il y a eu la fois où la préposée, observant sur ma carte d’identité que j’étais née un 11 septembre, m’a raconté en long, en large et en travers comment, ce fameux 11 septembre 2001, elle aurait pu se trouver dans l’un des avions sacrifiés. À deux mois près. Elle en avait encore des trémolos dans la voix. Et moi, je me retenais pour ne pas lui arracher ma CI et m’enfuir à toutes jambes. C’est vraiment un endroit où mon empathie naturelle n’entre pas.

Mais le pompon, c’est Bénédicte, haut la main. Bénédicte, c’est la postière du village le plus proche de chez moi (5 km). Un petit bureau de poste, aux horaires d’ouverture étonnants. Genre, le lundi de 10 h à 11 h 30, le mardi de 17 h à 18 h, fermé le mercredi, bref. Le top, c’est quand j’attends un paquet qui arrive le mardi alors que je suis absente. Bien sûr, je fonce à la poste le mercredi, en râlant sur le temps perdu. Et bien sûr, je me casse le nez. Autant dire que quand j’y retourne le jeudi, je crache du feu.

Et là, je tombe sur Bénédicte. Elle est gentille, je veux dire, vraiment gentille. Elle demande toujours des nouvelles, me remercie avec effusion et force commentaires pour un service que je lui ai rendu il y a trois ans. Bénédicte est reconnaissante et sait le dire. Naturellement, elle me donne des nouvelles de son mari et de ses enfants (non, je ne les connais pas). Et elle me demande mon avis sur son ordinateur qui justement ne veut pas marcher aujourd’hui (chaque fois. Chaque. Fois.) Et me raconte toutes ses petites misères, comme quoi, elle a pas un métier facile. Mais toujours avec bonne humeur. Bénédicte ne se laisse pas abattre par l’adversité. 

Pendant ce temps, je bous. La fumée me sort par les oreilles. Mais vous avez remarqué ? Autant il est facile de se montrer mal poli avec quelqu’un de désagréable, autant face à une personne joviale et attentionnée, on a des scrupules. Alors je m’évade dans ma tête en guettant le moment où je pourrais saisir mon reçu et filer en lui souhaitant bon courage avec un sourire forcé.

Je crois que le problème de Bénédicte, c’est qu’elle croit qu’on vient à la poste pour bavarder un moment avec elle, qui est coincée là par son travail.

Bénédicte, si tu me lis, je regrette de briser tes illusions, mais moi, je viens à la poste parce que je n’ai pas le choix. En général j’ai l’équivalent d’un pistolet sur la tempe. Sinon, pardon pardon, j’ai affreusement honte de mon égoïsme, mais on ne se connaîtrait même pas.